On est quel jour ? #50
Les séances de kiné sont des spectacles uniques chaque jour.
Chaque patient porte en lui (ou elle) toute son histoire, ses maux, ses envies, sa niaque… ou ses défaites et son désespoir. Ça se lit sur leur visage.
En face, vous avez des kinés bardés d’une patience inouïe face à des patients impatients voire « je m’en foutiste ».
Tel, ce type au téléphone. À première vue, ce connard n’a rien d’un trader en bitcoins pour le compte de Trump. Il parlait fort, avec son français douteux, depuis son emplacement entre deux rampes d'un parcours de marche.
Sa kiné vient une fois, il s’en fout, il négocie toujours au téléphone.
Elle repart. 2e tentative, la kiné revient et l’installe avec son fauteuil roulant sur un autre parcours de marche, en lui disant « debout et marche ». Il se lève mais refuse de marcher. La kiné s’en va … et semble faire exprès de l’oublier là.
Il restera là, sans rien faire, sur son fauteuil roulant reprenant son téléphone portable en main. Le gros con est resté seul. Le pire c'est qu'il est capable de se plaindre pour absence de résultat, sans comprendre son impolitesse.
Rien ne vaut cet autre patient qui vient sans lacet à l’une de ses chaussures. « Mais où est-il ?» lui demande sa kiné. Fortement touché visiblement par un AVC, il ne répond pas. La kiné trouve le lacet et le lui remet dans chacune des boucles de sa basket.
« Vous mettez votre pied sur la première marche de l’espalier et ainsi de suite, 10 fois ». Le patient monte une première marche puis enchaine avec une autre marche (la deuxième puis la troisième) pour atteindre le sommet de l’espalier…

Et puis, il y le « prothèse club » composé d’opérés de la hanche gauche. En photo, Carinne, Daniel et votre serviteur. Ce club des déhanchés imaginé par notre kiné qui nous a regroupé chaque après-midi, fait sa rééducation en jouant la pétanque (dans la salle de kiné), en marchant sur parcours d’obstacles ou encore en jouant au ballon.
En photo, c’est moi…
Et je pense que c’est la balance, recherchée en Bourbonnie, qui les a prises. @ALX
Mais cette salle de kiné est aussi une cour des miracles. Depuis le temps que je suis là, j’en ai vu des personnes (volontaires) remarcher.
Même NAPO marche, et là, on revient de loin depuis son AVC.
THEO m’étonne aussi, il est rentré allongé, il fait ses premiers pas, après son accident de moto.
ALX attend sa prothèse, mais il ne se prive pas de jouer comme un enfant avec sa baballe sur un tapis à même le sol.
JOR va jouer au foot en béquilles : trop content pour lui !
GEGE était débordé entre kiné, APA, Ergo et prothésiste : il n’en peut plus ! Mais il n’arrête pas de parler « ensuite vous triez » dit-il, avant de reprendre son tube du moment « et j’ai trié, trié, Aline pour qu’elle revienne ». On ne le récupérera pas.
POLO a dormi avec ses deux prothèses tendues sur son fauteuil roulant, ce qui le rend plus long.
Pourtant tous lui ont conseillé de faire faire des basket adaptés à ses moignons (au dessus des genoux) pour marcher. D’accord il perdrait en hauteur, au moins 50 cm, je pense. Mais il n’aurait plus besoin de prothèses !
Juste une mise au point…
Sur mes plus belles images de Bourbonnie...
Je vais être sérieux, durant 2 phrases consécutives (au moins).
Je suis heureux de voir que cette chronique fait partie de votre petit déjeuner pour beaucoup d’entre vous. Je ne m'y attendais pas.
Ce qui n’était qu’une connerie affiche aujourd’hui sa 50è édition. Qui l’eut cru ?
Tout a commencé à la clinique de la Bourbonne après déjà plusieurs séjours à l’IHU et à la Timone à Marseille.
Lors de mon arrivée ici, le 6 novembre 2024, tous les jours se sont ressemblés, et on en perd très vite la notion du temps, d’où le titre de cette chronique : « On est quel jour ? ».
Ensuite, je dois l’avouer, je me suis pris au jeu en inventant la « Bourbonnie » : un pays imaginaire qui a sa radio Pirate en Bourbonnie et sa TV : BF2.
En imaginant aussi Aubagne comme "un bagne" d’où l’expression je vais au bagne : c’est ici. En inventant aussi ma cellule et mes geôliers.
Puis sont rentrés dans mes histoires mes potos adorés qui, mine de rien, comptent pour moi et m’ont apporté beaucoup. Humainement d’abord, puis, ils m’ont aussi offert un autre regard sur le handicap, ces « fils de pute » (merde ça m’a échappé).
Quand je dis « histoire », il y a toujours un brin de vérité enjolivée, là dessous.
Ce qui devait être une connerie, est devenue quotidienne, mais elle est aussi une formidable catharsis. Excellent moyen pour moi de ne pas vivre reclus dans cette clinique broyant du noir, un moyen aussi de donner (avec un peu d’humour) des nouvelles de ma santé à mes proches, c’est aussi un formidable outil de sociabilité et un vrai rendez-vous sincère, humain et très amical avec les patients et les lecteurs hors hosto.
Numéro : 50. Ça commence à faire …
D’aucuns me disent d’en faire un livre. C’est pas gagné.
Une chose est sûre, je n’en ferai pas 100, mais ces écrits marqueront à jamais mon existence.
Oui, je ne serai plus jamais comme avant et j’em…. déjà, ce qui ne le comprendront pas.
Pour finir, j’ai décidé de ne plus dire de gros mots, bordel de merde, car en côtoyant ces patients langue de pute, je ne peux m’empêcher de dire aussi des grossièretés.
Ça va s’arrêter aussi, un jour. (fait chier)
En attendant, mes frérots, n’oubliez pas que vous serez toujours mes connards préférés.
Voyez, comme je peux être gentils, bande de nazes.
Passez une journée de merde.
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