On est quel jour ? #62 J-6
Vous le savez : le dimanche est le jour du Seigneur, donc : « tu ne dira point de gros mots. »
Mais, bordel de merde, c’est mon dernier dimanche en Bourbonnie…
Dieu s'en souvient ?
Toutefois, 'il faut être gentil, bon, honnête et ne pas faire "aux truies" ce que tu n'aimerais pas que l'on te fasse.

Je pars dans 6 jours, le 28 février 2025.
Cette chronique est donc la seule et dernière publiée durant un week-end.
C'est mon week-end thérapeutique à moi, offert par la maison, avant la sortie définitive.
Et il est temps, sérieusement, que je commence à me confesser... en disant toute la vérité.
Mes biens chers Frères, mes biens chères Soeurs :
Que Dieu nous pardonne pour nos pêchés. Et qu'il me pardonne particulièrement pour mes pêchés en pensées, en paroles ou en écrits.
(Y a du boulot !)
Et délivre nous du mal
(Pour certains ça va compliqué, Seigneur)
Amen.
« Ne tire pas de plans sur la comète, ne commence pas à te fixer un calendrier : tu risques d’être déçu » me disait un ancien patient : MIC.
C’est certainement la première phrase que j’ai retenu ce 6 novembre 2024 en atterrissant en Bourbonnie.
Mais je ne l’avais pas écouté et j’ai été déçu plusieurs fois : "je vais partir avant Noël" me dis-je. Tu parles, j'y suis encore...
Toutefois, je n’ai pas trop à me plaindre, car globalement mon deuxième calendrier (version XXXL, j'ai vu large) que je m’étais secrètement fixé est respecté : « je rentrerai au printemps ».
D’autres ont eu des galères, des accidents ou incidents qui ont reporté leur libération.
Moi, je n’ai pas à me plaindre, cette putain d'infection est partie pour le moment, j’ai passé seulement 114 jours ici, auxquels il faut ajouter 17 autres jours dans d’autres hôpitaux de la région.
131 jours passés à l’hôpital, ça vous change un homme ou une femme ou les deux deux en même temps.
Et curieusement lorsque j’entends des jérémiades venues du monde extérieur : ça m’énerve.
Ils ont gardé toujours le même jugement dehors : "Moi, je vis dans la vraie vie, Moi" … "Toi à l’hôpital, c’est des vacances, pas la vraie vie ! » Ta gueule ! (Oh pardon Seigneur)
Vous savez ce que vivent au quotidien les patients ? 24h/24 ils ont une série de petites galères au WC à mettre des chaussettes ou un pantalon... Et je ne parle pas du reste...
Je ne veux plus rentrer aux pays des cons de dehors !
J’en ai assez ici. (des cons)

Ma première belle rencontre en Bourbonnie a été Fifi.
Celui que j’avais surnommé le "DJ municipal" écoutait partout et tout le temps de la musique, avec son enceinte portative.
En fait, il n’écoutait que des extraits de musique, ce qui énervait notre dormeur national sur la terrasse POLO : « tu nous emmerde avec ta musique, si au moins tu mettais les morceaux en entier ? »
Fifi préparait ses playlists, mais, tous, subissaient ses choix du matin au soir, y compris en salle de kiné.
L’homme à la jambe en moins (je ne devrais pas le dire, car tous mes nouveaux amis ont un truc en moins) pétait le feu, jamais le dernier pour faire une connerie et toujours "dangereusement" optimiste.
« Quoi mon amputation ? Une prothèse et c’est reparti ! ». La prothèse n’était que la face visible de ce qu'il a vécu et traversé.
Un mec bien, fidèle, aimant la vie (et certainement aussi le Ricard et les moules) qui coule des jours heureux avec sa Fifi mobile dans l'objectif de réveiller les morts de sa résidence.
Merci Fifi.
(Quel con celui-là)
En même temps, je croise les 3 seuls jeunes mecs de la Bourbonnie. Ils n’étaient que 3, mais foutaient un bordel comme ils étaient 12 ! Greg (à gauche sur la photo en plus jeune) Thib et Jordan avec son inséparable Gabriella (à droite) sont partis aujourd’hui dans leurs pénates.
Véritables héros pour leurs proches car "survivants amputés ayant vécus en Bourbonnie", ils avaient une énergie positive et communicative qui se prolongeait tard dans la nuit.
Leur vocabulaire était… le leur.
Pas une phrase sans gros mots et une série de mots différents pour dire la même chose. Mais ils m’ont surpris par leur solidarité auprès d'autres patients, toujours prompts à les aider, à parler et à partager avec des vieux, catégorie dans laquelle j’appartiens en voyant ces vingtenaires déjantés.
Merci les gars d’avoir réveillé les moitié-morts de cet établissement.
Je n’oublierai jamais vos expressions préférées : « amendonné » pour Greg « je m’en bats les couilles » pour Jordan et « Salut ma couille » pour Thib.
(Putain, quels batards ces jeunes gros cons, dont deux ont grossi comme des merdes - je pourrais m’y inclure, mais je n’ai pas le même âge - Amendonné, il faut le dire. Non ?)
C’est avec deux de ces jeunes cons que j’ai passé le réveillon de Noel 2024 dans une chambre à l’hôpital : un moment unique, comme si nous étions perchés hors du temps et hors du monde. Il y avait aussi avec nous, Françoise, qui est une très belle personne, et Gégé pour qui, je ne peux pas en dire autant.

GEGE aime les vieilles chansons pourries, mais il est redoutable en jeu de mots foireux. Il a aussi le talent (le mot est fort) d’avoir une répartie unique, rusée et parfois féroce. La tête fonctionne bien chez lui, et il est particulièrement performant à 11H15 et 17H15, allez savoir pourquoi ?
Fan d’Orangina, il aime la Star Ac, Danse avec les Stars et The Voice. Prière de ne pas le déranger quand il regarde, sinon, il mord.
POLO avec son Columbo en a fait les frais. Ce dernier voulait regarder son inspecteur préféré à la TV, mais pas GEGE. Ce dernier lui reproche aussitôt de s’endormir juste après le générique de début !
La bataille fut féroce, en attendant que Columbo danse avec les stars ?
GEGE est maniaque de la propreté, il devient taré sur la terrasse si tu ne jette pas ton gobelet à la poubelle, mais au moins ça reste propre.
(Quel connard celui-là avec ses manies de vieux con)

POLO justement rime avec DODO ! Mais il était le gardien de la terrasse. Toujours à la même place. Difficile d’avoir une discussion longue avec lui, car ces créneaux éveillés duraient 5 à 10 mn.
Il disait souvent « je réfléchis, je ne dors pas ».
Mais tu dors encore ? « ça fait passer le temps, j’ai l’impression d’être ici, deux fois moins longtemps »…
Merci POLO, et saches que personne n’a pris ta place sur la terrasse de peur de chopper ta forte narcolepsie. (Quelle feignasse celui-là).
Et puis il y a eu NIKO, NAPO, BLANCHE NEIGE les quémandeurs de clopes, tout comme MIM téléspectateur fidèle de Gulli, sauf quand il taxe des clopes aux autres.
Mais BLANCHE NEIGE a plus d’une corde à son arc, son regard fait peur et il s’agite seul tous les soirs au milieu de la salle de télé, après avoir bloqué de longues heures devant le salon de coiffure, en matant la tenancière. (Il est flippant cet abruti)…
Sont venus ensuite les nouveaux…

MIKA : Enfin quelqu’un de sensé et d'intelligent, mais il ne s’est pas bien senti avec nous au sein de notre Club des Intelligents. Il est vite parti, frustré devant nos connaissances d’érudits.
(Il n’est pas resté assez longtemps pour dire du mal de ce batard)

ADR : Le faux Corse, vivant en Corse mais originaire de Normandie et qui est en colocation avec un vrai Corse qui vit à Aubagne.
ADR parle peu, mais drague tout le temps (ou presque).
En étant présent partout, tout le temps, il est devenu le concierge de la maison.
Véritable source d’information (même s'il ne dit rien) faute de pouvoir pécho ce qui bouge devant lui.
En même temps, il est jeune, il marche super bien avec sa prothèse, progresse vite et est fortement motivé par la kiné (pas les exercices, La Kiné)
Et il ose les parcours les plus complexes !
(Quel petit con)

Son coloc, un Corse habitant à Aubagne s’appelle SYL. (à droite sur la photo)
Il a une putain de voix qui l’a poussé à chanter dans sa chorale protestante. Enfin, quand on dit qu’il chante, on ne l’a jamais entendu, mais quand il parle, tout son étage écoute. Qu’est-ce qu’il parle fort. Lui réveille aussi les morts et surtout les voisins, vivants eux.

Pourtant, SYL a le coeur sur la main, il aime partager, même avec les plus récalcitrants.
Pour lui, sa force c’est Jésus qui lui sourit. Et il en parle beaucoup et fort.
(Ah si tu pouvais fermer ta gueule me disent certains anonymes dérangés par son organe. Le con)

BEA est notre rayon de soleil.
Le matin, au levé du jour, elle fume avec nous sur la terrasse sa première clope. Le soir tombé, dernier rayon de soleil va se coucher comme les poules.
Ce rituel nous permet de prendre la notion du temps, de connaitre l'heure, même, si elle-même cherche toujours la date du jour.
Ce jour, où un autre patient me demande l'heure : "il est 16h". "Non, il est 14h20"... tout le monde perd la notion du temps, d'où le nom de ce rendez-vous : "On est quel jour ?"
Toujours le sourire malgré quelques belles galères, notre BEA internationale crâne désormais avec sa nouvelle prothèse qui lui permet de marcher. Mais son pied a grandit dans la nuit.
Dame Béatrice, la pouffiasse, chausse du 48 le matin ! (au lieu du 38). (en fait sa chaussure ne rentre pas à cause de sa new prothèse).
Elle nous étonnera toujours.
Bonne route, mais ne va pas trop vite avec ton fauteuil roulant !
THEO est arrivé couché sur son fauteuil, oui c'est possible. Puis il s’est assis sur un fauteuil électrique, puis très vite, il s’est mis à marcher avec deux béquilles et voilà-t-il pas qu’il marche désormais avec une seul canne ! Progression remarquable.
Bon, il m’inquiète toutefois en mettant son tutu toujours les jours, pour faire semblant de courir dans sa bulle d’air en salle de kiné.
Avant il parlait au club des intelligents que nous sommes, il ne vient plus, par crainte de ne pas être à la hauteur face à tant de connaissances ? Ou le contraire peut-être ?

ALX : par où commencer ?
Cet homme est électrique...
Même avec une jambe il bouge plus que vous et moi et certainement plus vite que la lumière...
Véritable emmerdeur, ce passionné de taureaux camarguais est une pile électrique au bord de l'explosion.
Attachant et parfois chiant, sa personnalité ne peut vous laisser indifférent. Serviable et toujours à l'écoute des autres qui ont besoin d'un casque audio, de bouteilles d'Orangina ou encore de pack de lait... Il répondra toujours en faisant les courses pour vous. Il charge tout sur son fauteuil roulant ultra-léger qu'il pilote comme un cinglé.
Face à la pente de l'entrée de la clinique, il utilise son pied et la marche arrière pour monter.
Toujours une technique en tête pour résoudre un problème, d'ailleurs je me demande s'il est conscient face aux difficultés. Il fonce, on verra après, et souvent exaspère tout son entourage. Mais, ne change rien, reste comme tu es : connard !
Et moi ? je vous en parle bientôt !

Voilà une partie de ma nouvelle petite famille de galère que je vais quitter vendredi.
Une séquence dans ma vie qui restera gravée en moi, à vie.
Que Dieu vous protège.
Merci pour tout.
Amen
PS :
le grand ascenseur est toujours en panne. Mais on s’en fout, personne ne roule avec un fauteuil ici !
J'ai toutes les autorisations, Madame.
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